Dans le cadre d’une conversation avec Judyannet Muchiri, l’agente des politiques pour le Réseau de coordination des conseils, nous lui avons posé des questions pour en apprendre davantage sur le projet de recherche « Approches féministe, antiraciste et décoloniale en engagement public ». Nous nous penchons sur la méthodologie de la recherche, le moment opportun et l’importance de celle-ci, les implications de l’utilisation de la recherche-action participative et les prochaines étapes.
Questions de recherche:
À propos de Judyannet:
Nous avons discuté de l’importance de souligner le contexte de nos participant-e-s, et c’est quelque chose que nous planifions faire lorsque nous publierons les conclusions du projet de recherche. Mais, en attendant, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre propre contexte et positionnalité ?
Certainement ! Il est important de reconnaître notre perspective, en particulier lorsqu’on s’implique dans un projet de recherche comme celui-là. Notre positionnalité influence notre manière d’aborder le sujet de recherche, les questions que nous posons, comment nous les posons et le processus de recherche lui-même. J’aime penser que je suis une personne qui a été — et qui continue d’être — façonnée par des expériences, des lieux géographiques et des histoires diversifiées. Je suis également une personne jouissant d’un privilège considérable, et il est important de reconnaître ce que ce privilège m’offre en termes d’accès et d’opportunités, mais aussi comment il façonne mes préjugés, en particulier dans le contexte d’une recherche telle que celle-ci. J’aborde tout travail que je fais, y compris ce projet de recherche, comme faisant partie d’un projet plus large en cours qui cherche à conceptualiser et à expérimenter différents processus et mécanismes de justice sociale. À un niveau personnel, il était très important de créer un espace qui puisse accueillir une diversité d’expériences, de connaissances, de géographies, d’histoires et d’aspirations. Un espace qui pouvait nous rassembler en tant que chercheuses et chercheurs, et où nous pouvions nous réunir les un-e-s et les autres pour approfondir nos discussions sur le changement structurel. Ce fut un honneur de faire partie d’une communauté avec les autres chercheuses et chercheurs tout au long de ce processus.
Au sujet de la rechereche:
Voyons plus d’information sur cette recherche. Commençons donc avec ceci : « Pourquoi cette recherche ? Et pourquoi maintenant ? »
Récemment, nous avons constaté un intérêt grandissant pour les concepts décoloniaux, antiracistes et féministes dans le secteur de la coopération internationale. Cela a mené à des discours, des initiatives, des projets et des efforts qui ont eu une grande visibilité
en lien avec l’antiracisme et la décolonisation au sein du secteur. Comme les groupes racisés et d’autres groupes marginalisés se sont investis intensément dans ce travail, il est extrêmement important que ces efforts dont nous sommes témoins soient accompagnés d’une réflexivité forte. De tels mécanismes permettraient d’éviter les tentatives de coopter, de rendre invisible, voire d’effacer le travail décolonial, féministe et antiraciste existant dans le secteur. Ainsi, cette recherche arrive à un moment opportun et constitue un bon point de départ pour réfléchir aux racines coloniales du secteur et aux engagements décoloniaux et antiracistes émanant du secteur.
Comment avez-vous choisi la méthodologie ? Est-ce que cela a influencé l’identité des participant-e-s ? Comment ?
Tout d’abord, nous devons reconnaître que les projets de recherche tels que celui-ci, qui visent un changement structurel, nécessitent plus de temps et de ressources. Il est important de noter que la méthode elle-même est une partie essentielle du projet — nous voulions que nos méthodes reflètent les concepts mêmes que nous explorions. Nous avons donc abordé la méthode, dès le processus de recrutement, comme un espace d’action décoloniale, antiraciste et féministe. Nous voulions réunir un groupe de chercheuses et chercheurs qui contribueraient leurs connaissances et leurs expériences vécues au processus de recherche. Il était également important de réunir des personnes ayant des expériences différentes par rapport aux systèmes coloniaux et racistes. Sachant que toutes les inégalités sont interconnectées, une approche nuancée de l’interaction entre les systèmes coloniaux et racistes et les autres systèmes de subordination est essentielle pour imaginer des avenirs différents. Il était donc essentiel que les chercheuses et chercheurs potentiels soient mobilisés sur des enjeux de justice sociale dans leurs pays respectifs et qu’ils connaissent bien les approches décoloniales, antiracistes ou féministes de l’engagement du public. Cela constituerait une bonne base pour l’exploration de ces concepts. Les 13 chercheuses et chercheurs qui ont finalement été recrutés proviennent d’un groupe de plus de 50 personnes qui avaient répondu à un appel ouvert aux participant-e-s. Les chercheuses et chercheurs du Canada, du Pérou, d’Haïti, d’Espagne, de l’Équateur, de la Bolivie, du Kenya, de la RDC, du Burkina Faso et de la République dominicaine forment une communauté qui non seulement incarne ces concepts, mais qui apporte aussi beaucoup de confiance et d’honnêteté, ce qui nous permet d’aborder des questions et des conversations difficiles.
Le thème de la recherche est intimement lié aux dynamiques de pouvoir à l’œuvre dans le secteur de la coopération internationale. Comment l’étude des principes décoloniaux, antiracistes et féministes a-t-elle influencé le processus et la méthodologie de la recherche ? J’imagine qu’il n’est pas facile de séparer le site d’étude du site d’action, surtout avec la méthodologie de la recherche-action participative ?
Nous tenons à préciser que même si nous aspirions à utiliser pleinement les méthodes de recherche-action participative (RAP), finalement nous n’avons pu utiliser qu’une forme de RAP. Adopter pleinement les méthodes participatives ou, en fait, les méthodes décoloniales, antiracistes et féministes, nécessite un changement fondamental des dynamiques de pouvoir — un changement complet du système, si vous voulez. Cela n’est pas possible dans le cadre des systèmes et structures actuels dans lesquels nous
travaillons dans le secteur de la coopération internationale. On y travaille, mais on n’y est pas encore. Ainsi, il est important d’être clair à propos de ce que nous pouvions faire et ce que nous ne pouvions pas faire dans le cadre de cette recherche. Cela fait partie du travail. Les méthodes d’action participative impliquent de centrer les chercheuses et les chercheurs, leurs connaissances et leurs expériences vécues tout au long du processus de recherche, y compris dans les étapes de conception, de production et d’analyse des données et de partage des connaissances. Elles impliquent de renverser les dynamiques de pouvoir qui entourent généralement ces formes de processus de création de connaissances. Dans notre projet de recherche, nous avons tenté de reconnaître les procédures et les limites organisationnelles avec lesquelles nous avons dû composer afin de créer un espace pour les méthodes participatives. Par exemple, bien que le sujet de recherche ait été défini au niveau de l’organisation conformément aux orientations stratégiques du RCC, nous nous sommes assurés que les chercheuses et chercheurs puissent définir eux-mêmes les thèmes clés sur lesquels ils souhaitaient se concentrer. Nous avons également laissé aux chercheuses et chercheurs le soin d’établir un ordre du jour pour le groupe de discussion mensuel et d’animer la discussion de groupe. Ce ne sont là que quelques-unes des mesures que nous avons prises tout au long de la recherche pour aligner nos méthodes sur les principes et pratiques décoloniaux, antiracistes et féministes.
Maintenant que la partie de la recherche liée au groupe de discussion est terminée, qu’est-ce qui vous stimule au sujet de l’analyse ?
J’ai hâte de voir tout ce travail que nous avons commencé il y a plusieurs mois converger en une seule grande histoire. Je suis également impatiente de suivre notre évolution, tant au niveau des idées que du groupe, depuis la toute première réunion jusqu’au groupe de discussion final en juin. Je suis aussi curieuse et impatiente de voir les principaux éléments d’apprentissage qui émergeront des données et qui, à leur tour, façonneront la prochaine phase de partage des connaissances.