
Erika Massoud | Montreal, Quebec
Erika Massoud est une jeune professionnelle dans le secteur à but non lucratif qui travaille sur les droits des personnes immigrantes et l’engagement des jeunes. Elle détient un baccalauréat en développement international et mondialisation, et une maîtrise en migrations et relations interculturelles. Erika a travaillé avec des organismes à but non lucratif et des établissements d’enseignement au Canada et à l’international. Récemment, elle a participé à la Commission de la condition de la femme en tant que déléguée jeunesse avec l’Association canadienne pour les Nations Unies. Erika est trilingue et passionnée par les questions liées à la justice sociale, aux droits des personnes migrantes et au dialogue interculturel.
À propos des formations sur la justice raciale de Race Forward
Au cours du printemps et de l’été 2020, Erika a participé à une série de formations sur la justice raciale de Race Forward intitulée « Bâtir et organiser l’équité raciale : transférer le pouvoir ». Ces formations appuient les participant-e-s qui souhaitent s’attaquer au racisme structurel et faire progresser l’équité raciale dans leur secteur ou leur institution (Race Forward, 2020). En revenant sur les apprentissages qu’elle a tirés de ces formations, le billet de blogue d’Erika cherchera à soulever des questions et à encourager les réflexions personnelles sur le rôle des organismes sans but lucratif dans l’avancement de l’équité raciale.
Vers un changement transformationnel : l’équité et la justice raciale dans le secteur à but non lucratif
Bien que le travail sur l’équité, la diversité et l’inclusion ne soit pas nouveau, il a beaucoup attiré l’attention dans le secteur à but non lucratif et au-delà au cours de la dernière décennie. Malheureusement, dans mon expérience, la diversité et l’inclusion sont également devenus des mots à la mode associés à un éventail d’idées différentes, et souvent discutées de manière isolée. Les organismes sont disposés à adopter des politiques qui favorisent la diversité et l’inclusion, mais ils ne parviennent pas à questionner leur structure, leur culture et leur façon de fonctionner. Sans une compréhension et une prise en compte des systèmes d’oppression comme le racisme, le colonialisme et le patriarcat, qui conditionnent notre société et, par conséquent, nos milieux de travail, les politiques de promotion de la diversité et de l’inclusion n’auront que peu ou pas d’impact. Mettre l’équité et la justice au cœur de notre travail au sein de nos organisations requiert de s’opposer activement et de démanteler ces systèmes si nous voulons réaliser un changement transformationnel.
Cherchant à acquérir des outils et des stratégies pour faire progresser l’équité raciale dans mon propre milieu de travail, j’ai entendu parler des formations sur la justice raciale de Race Forward, qui ont été offertes en ligne depuis le début de la pandémie. Race Forward est une organisation basée aux États-Unis qui cherche à promouvoir l’équité et la justice raciales par le biais de la recherche, des médias et de la pratique. Notamment, ils publient le site de nouvelles en ligne Colourlines, qui offre une lentille de justice raciale sur les événements de l’actualité, et ils organisent Facing Race, le plus grand rassemblement multiracial aux États-Unis. J’ai participé à leurs deux formations, intitulées « Bâtir et organiser l’équité raciale : transférer le pouvoir », et j’ai eu l’occasion d’échanger avec des défenseurs de la justice raciale de partout sur le continent. J’ai été particulièrement inspirée par l’approche intersectionnelle de Race Forward, qui met de l’avant les voix et les expériences des personnes de genre non conforme, noires, autochtones et de couleur, et qui reconnaît les façons dont les systèmes d’oppression se chevauchent et se croisent. Leur approche #RaceAnd, qui est aussi une série de webinaires qu’ils ont conçus, aborde la question de la race explicitement, mais pas exclusivement. Afin d’aborder les inégalités historiques et contemporaines, les organisations doivent être explicites en nommant l’injustice raciale, et comprendre comment la justice raciale est entrelacée avec la justice de genre, la justice pour les personnes handicapées, la justice environnementale, etc.
Ces formations ont soulevé de nombreuses questions pour moi sur le travail en faveur de la justice et l’équité dans le secteur à but non lucratif dans ce qu’on appelle le Canada et le Québec, où je suis basée. Par exemple, comment les organismes à but non lucratif (OBNL) peuvent-ils mettre de l’avant l’équité raciale dans leur travail afin de mieux servir les collectivités? Envers qui les OBNL sont-ils vraiment redevables ? La redevabilité envers les collectivités que les organismes desservent et avec lesquelles ils collaborent est, à mon avis, un élément central du travail en faveur de l’équité. D’autres points clés qui sont ressortis des formations et qui me semblent de bons points de départ incluent : contextualiser notre travail, comprendre les systèmes d’oppression, évaluer nos pratiques actuelles et changer notre façon de travailler.
CONTEXTUALISER NOTRE TRAVAIL
Qu’est-ce que cela signifie de travailler en faveur de l’équité et de la justice raciale sur des terres volées? Les deux formations ont commencé en rappelant aux participant-e-s le contexte dans lequel nous vivons et travaillons comme organisateur-trice-s communautaires, militant-e-s et travailleur-euse-s dans les secteurs à but non lucratif, privé ou public. En commençant par reconnaître les terres volées et non cédées sur lesquelles nous vivons et les nations autochtones qui ont habité et qui continuent d’habiter ces terres, les personnes animatrices sont allées plus loin en faisant explicitement le lien entre la colonisation, le vol des terres et l’esclavage. L’histoire du racisme structurel sur ce continent tire son origine et est au cœur de la colonisation et de l’esclavage. Par conséquent, le travail que nous faisons aujourd’hui doit être ancré dans une compréhension de notre contexte historique et contemporain, car les impacts de ces systèmes persistent.
Connectée au contexte local où je me trouve, sur le territoire traditionnel non cédé des Kanien’keha:ka, la défenseuse des terres Ellen Gabriel, de Kanehsatà:ke, a récemment partagé pourquoi il est important d’aller au-delà de la reconnaissance territoriale et de comprendre sa signification dans le contexte de la résistance continue des Haudenosaunee et des Autochtones. Si vous souhaitez en savoir plus sur les nations autochtones et les territoires où vous êtes situés, ce site est un excellent point de départ et offre l’occasion d’écouter des jeunes Autochtones partager leurs propres reconnaissances territoriales.
COMPRENDRE LE FONCTIONNEMENT DES SYSTÈMES D’OPPRESSION
Quels sont les systèmes d’oppression à l’œuvre et comment ces systèmes sont-ils enracinés dans notre travail ? Au cours des formations, nous avons discuté de la façon dont les systèmes d’oppression et la hiérarchie, plus spécifiquement la suprématie de la race blanche et le racisme systémique, sont renforcés et maintenus par des institutions. Nous devons avoir une compréhension critique des façons dont nos organismes fonctionnent au sein de ces systèmes afin de nous en dégager et de les combattre. Les organismes à but non lucratif ont longtemps été coupables d’un déficit de réflexion, ancré dans la conviction que certaines collectivités ou certains groupes sont intrinsèquement vulnérables et manquent de capacité, ce qui justifie l’intervention de l’organisme et perpétue le complexe du sauveur blanc.
Pour comprendre la nature systémique du racisme et de la suprématie blanche, l’une des personnes animatrices a proposé une métaphore de la société comme un pain aux raisins et à la cannelle. Bien que nous puissions enlever les raisins secs, symbolisant les actes individuels de racisme ou les « quelques pommes pourries », nous ne pouvons pas retirer la cannelle — ou le racisme systémique — qui est cuite dans le pain. Certains feraient valoir que parce que la société a été conçue ou structurée de cette manière, nous devons imaginer d’autres façons de travailler et donc, de préparer d’autres recettes !
Le Centre des organismes communautaires (COCo), à Tiohtià:ke/Montréal, a documenté la manière dont la culture de la suprématie blanche se manifeste dans les organisations, et offre des antidotes pour s’éloigner de ces façons de faire. En fait, la culture de la suprématie blanche peut se manifester à travers un sentiment d’urgence, une attitude défensive, un accaparement du pouvoir et la peur du conflit, parmi beaucoup d’autres comportements néfastes. La suprématie blanche est aussi fondée sur le genre et ce billet de blogue décrit les moyens précis par lesquels les femmes blanches défendent la suprématie blanche dans le secteur à but non lucratif, notamment en utilisant l’alliance performative et en privilégiant la « gentillesse ». Comprendre comment la culture de la suprématie se manifeste et comment nos organisations la perpétuent est une étape nécessaire pour travailler en faveur de l’équité.
ÉVALUER NOS PRATIQUES
Qui n’est pas entendu ? Qui détient le pouvoir et qui est reconnu ? Le travail en faveur de l’équité et de la justice nous oblige à aller plus loin que les questions soulevées par la diversité et l’inclusion (voir image ci-dessous). En fait, certains ont fait valoir que « la diversité est un jeu dangereux » et qu’elle détourne les efforts en faveur du changement transformationnel, qui implique le démantèlement du racisme systémique et de la suprématie blanche. Ainsi, il est important de faire la distinction entre l’équité et la justice, la diversité et l’égalité.

Source: https://www.insidehighered.com/views/2017/03/30/colleges-need-language-shift-not-one-you-think-essay
Analyser qui a accès au pouvoir, qui voit son travail reconnu et qui voit sa participation active être bien accueillie dans nos organisations permet de comprendre quelles voix sont mises de l’avant et lesquelles sont marginalisées. L’un des principaux apprentissages qui sont ressortis de cette formation de Race Forward, pour moi, a été de voir comment le fait d’être à la marge implique une prise de conscience des dynamiques de groupe, en raison de son exclusion du courant dominant. En d’autres termes, les personnes à la marge ont le pouvoir de voir au-delà des normes existantes et de bien comprendre comment le pouvoir fonctionne, puisqu’elles en sont exclues.
L’outil de la fleur du pouvoir nous permet de réfléchir à notre propre position sociale et à notre proximité par rapport à la « norme » courante ou dominante de la société, spécifiquement les hommes blancs (ou les femmes dans le secteur à but non lucratif), hétérosexuels, valides et de la classe moyenne supérieure. C’est également un outil qui peut nous aider à répondre à la question : comment est-ce que je bénéficie ou je souffre de la culture de la suprématie blanche ? Comprendre comment nous sommes impliqués dans cette culture et comment nous perpétuons ou nous souffrons de ses méfaits fait partie du processus de guérison lié à ces systèmes.
La question qui se pose alors, c’est comment allons-nous aborder ces déséquilibres de pouvoir et transférer le pouvoir ? Les formations nous ont encouragés à réorienter nos perspectives : « du blâme et de la honte, de la culpabilité et du grief, vers les causes et les effets, les systèmes et les solutions » (Race Forward, 2020). Pour commencer à travailler sur l’équité raciale dans votre organisation, consultez ces outils en ligne pour entreprendre une évaluation organisationnelle et mieux connaître les stratégies de changement organisationnel. La Racial Equity Alliance, un projet codirigé par Race Forward, offre également de nombreuses ressources et de nombreux outils pour commencer.
CHANGER NOTRE FAÇON DE TRAVAILLER
Comment pouvons-nous créer un changement ? Envers qui sommes-nous redevables en tant qu’organisation ? Qui servons-nous ? Changer nos pratiques et nos façons de travailler commence par la compréhension que nos cultures organisationnelles sont intégrées dans la culture sociétale, et qu’elles se nourrissent mutuellement. Le changement requiert le pouvoir et la volonté de s’attaquer aux préjugés institutionnels implicites et explicites qui existent dans nos organisations. Provoquer un changement, selon la roue du changement de Rockwood, consiste à transformer simultanément nos cœurs et nos esprits, nos comportements et nos structures. Les changements individuels et collectifs alimentent les changements organisationnels, et vice versa.
Au cours de la formation « Organiser l’équité raciale : transférer le pouvoir », nous nous sommes penchés sur les différentes façons de comprendre le pouvoir et la façon dont il fonctionne au sein de nos organisations. Le pouvoir peut être le pouvoir sur, le pouvoir avec, le pouvoir de et le pouvoir intérieur. Les personnes animatrices ont été claires à l’effet que la race, comme outil de la suprématie blanche, concerne fondamentalement la domination et le pouvoir sur les corps non blancs. Les organisations ont la responsabilité de comprendre comment elles reproduisent le pouvoir sur les collectivités qu’elles desservent et de reconnaître qu’elles ont le pouvoir de changer leur façon de travailler. Utiliser notre pouvoir de faire quelque chose implique également d’être redevables et responsables envers soi-même et envers les autres.
En tant qu’organisations et individus, il y a des mesures que nous pouvons prendre à court, à moyen et à long terme pour réfléchir et agir sur l’équité ; et finalement, pour travailler à un changement de notre culture organisationnelle. Bien que de progresser vers le changement transformationnel et l’équité ne soit pas un processus linéaire, il existe des lignes directrices sur la façon de commencer ce travail, tout en veillant à ne pas reproduire la « fausse équité ». Par exemple, le travail sur l’antiracisme est de plus en plus discuté dans le secteur du développement international, et Coopération Canada a récemment annoncé le lancement d’un cadre sur l’antiracisme. Les conversations critiques sur la manière dont le secteur du développement a émergé et est imbriqué dans le colonialisme, l’impérialisme et le racisme ne sont pas nouvelles. Malgré tout, certains organismes réfléchissent sérieusement à comment faire les choses différemment et à ce que la justice raciale et l’antiracisme impliquent dans le secteur du développement. Établir de bonnes relations est un élément clé de ce travail, à la fois aux niveaux individuel et organisationnel, ainsi que travailler comme complices pour notre libération collective.
Après avoir participé aux formations de Race Forward, je continue d’évoluer, d’apprendre, de désapprendre et de construire ma boîte à outils en matière d’équité raciale. Les leçons apprises décrites ci-dessus ne sont absolument pas exhaustives et ne sont que des morceaux de casse-tête qui doivent être continuellement réexaminés plutôt que suivis comme si c’était un processus étape par étape.
Même si je sors de ces formations avec une dose d’espoir et des outils, je continue à me demander si le changement transformationnel est véritablement possible dans les limites du complexe industriel à but non lucratif, qui prospère grâce au maintien en place des mêmes systèmes d’oppression au sein desquels opèrent les organismes à but non lucratif. Les femmes militantes de couleur et les organisatrices féministes africaines ont affirmé que « la révolution ne sera pas financée » et qu’elle ne sera pas non plus menée par les organismes à but non lucratif. Ces militantes dénoncent la cooptation et la dépolitisation des mouvements sociaux par les organismes à but non lucratif, les États et d’autres acteurs.
Les organismes à but non lucratif ont certainement du travail à faire, puisque la justice et l’équité raciales nécessitent un travail fondamentalement politique dont elles ne peuvent plus faire l’économie. Que le changement transformationnel puisse se produire ou non dans le secteur à but non lucratif, il est certainement déjà en cours dans la société. Reconnaissant que les jeunes sont à l’avant-garde des mouvements en faveur de la justice raciale, y compris au sein de Black Lives Matter, Race Forward organise cet automne la conférence #RaceAnd Our Present, Our Future pour mettre de l’avant et élever les voix des jeunes militant-e-s noires, autochtones et de couleur. Comme la poète Amanda Gorman l’a déclaré au début de l’année :
D’autres ressources
- White Supremacy Culture: http://www.dismantlingracism.org/white-supremacy-culture.html
- “Why Are Nonprofits Still So white?”: https://www.thesparkmill.com/blog-posts/2020/6/8/why-are-nonprofits-still-so-white
- The Characteristics of White Supremacy Culture: https://www.showingupforracialjustice.org/white-supremacy-culture-characteristics.html
- White Supremacy Culture in our organizations:
- “Have nonprofit and philanthropy become the “white moderate” that Dr. King warned us about?”: https://nonprofitaf.com/2020/06/have-nonprofit-and-philanthropy-become-the-white-moderate-that-dr-king-warned-us-about/
- “21 Signs You or Your Organization May Be the White Moderate Dr. King Warned About”: https://nonprofitaf.com/2021/01/21-signs-you-or-your-organization-may-be-the-white-moderate-dr-king-warned-about/
- “Privilege, power, and personal conflicts: The forces preventing change in nonprofit and philanthropy”: https://nonprofitaf.com/2020/06/privilege-power-and-personal-conflicts-the-forces-preventing-change-in-nonprofit-and-philanthropy/
- “Yup. Non-profit culture and performative activism perpetuate ableism and anti-Blackness”: http://blackyouthproject.com/yup-non-profit-culture-and-performative-activism-perpetuate-ableism-and-anti-blackness/
- “Why We Don’t Believe in Having an Anti-Oppression Policy”: https://coco-net.org/why-we-dont-believe-in-an-anti-oppression-policy/
- “Diversity is for white people: The big lie behind a well-intended word”: https://www.salon.com/2015/10/26/diversity_is_for_white_people_the_big_lie_behind_a_well_intended_word/
- 21-Day Racial Equity Habit Building Challenge: https://www.eddiemoorejr.com/21daychallenge