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Q&R avec Monica Kurumbe, Jeune Leader 2020

Auteur | février 22, 2021

Je m’appelle Monica, une femme heureuse, mariée et mère de trois enfants. Je suis une fière Maasaï de Kilindi, en Tanzanie. Notre tribu est riche de ses cultures et a été préservée depuis plusieurs centaines d’années. J’aime le respect que nous avons pour nos aîné.e.s, nos habits colorés, notre langue et même la beauté naturelle que Dieu nous a accordée. Toutefois, ce qui me perturbe, c’est la pratique de mutilation génitale féminine/excision (MGF/E). Cette pratique, et d’autres défis auxquels notre communauté fait face, m’ont amené à étudier en travail social à l’université.

Ma passion est de contribuer à améliorer la santé et le bien-être de la communauté par l’autonomisation des filles et des jeunes femmes. Je veux les voir à un plus haut niveau et non au niveau où elles se trouvent actuellement. Je sens qu’il y a un besoin d’éducation pour mener à une plus grande indépendance et confiance en soi.

Pourquoi avez-vous commencé à travailler en tant que leader pour mettre fin à la MGF/E?

Dans ma communauté, la pratique de MGF/E est très commune. Elle s’accompagne de plusieurs autres défis que vivent les filles et les femmes. Lorsqu’elles sont excisées, plusieurs d’entre elles quittent l’école et se marient à un très jeune âge. En fait, l’excision justifie le mariage, peu importe l’âge. Souvent, les filles tombent enceintes et certaines décèdent des suites de l’accouchement. C’est bouleversant parce que, selon moi, l’excision n’est pas nécessaire. J’ai décidé d’en parler avec des membres de ma communauté, mais j’ai tout de suite senti l’hésitation dans leur regard. C’est à ce moment-là que j’ai décidé que je souhaitais changer les choses dans ma communauté. J’ai commencé à élever ma voix pour sensibiliser la population et briser les tabous.

Le chemin que j’ai choisi n’a pas toujours été facile. J’ai réalisé que la communauté rejetait plusieurs des discussions que je tentais d’avoir avec elle. En Tanzanie, lorsque vous remettez en question certains aspects d’une culture, vous touchez au cœur de la communauté. Notre fierté et notre caractère unique reposent sur notre culture, alors mettre fin à une pratique qui est présente dans la communauté depuis plusieurs années ne s’accepte pas facilement. Les gens parlaient derrière mon dos. On disait que j’avais perdu la tête et ma culture parce que j’avais été à l’université et on tentait de faire peur aux filles en affirmant que c’est ce qu’il leur arriverait aussi si elles choisissaient le même chemin que moi.

Mais je n’ai jamais abandonné.

Je savais que je devais commencer par les chefs aînés, car ils ont beaucoup d’influence dans la communauté Maasaï. Je devais d’abord les convaincre. Je leur ai partagé des histoires de MGF et les raisons pour lesquelles cette pratique est mauvaise pour les filles. Je leur ai même montré des vidéos, car ils ne connaissaient rien sur la pratique en tant que telle. Je leur ai montré les résultats obtenus dans d’autres communautés en Tanzanie qui ne pratiquent pas l’excision. Les femmes dans ces villages occupent des postes d’infirmières, d’enseignantes et de médecins, tout cela parce qu’on permet aux filles d’aller à l’école et à l’université et de suivre leurs rêves. Je leur ai dit que nos filles étaient « en arrière » parce qu’elles étaient laissées à elles-mêmes.

Changer une tradition dans une culture ne se produit pas en une journée. Cela m’a pris plusieurs années pour être entendue et comprise et pour que mon point de vue soit partagé. Et c’est là que j’ai rencontré Amref Health Africa et que je suis devenue une leader pour mettre fin à la MGF/E.

Pouvez-vous nous parler de votre travail?

J’ai commencé à travailler à Amref il y a six ans. Ils ont remarqué que je réussissais à parler aux aînés de mettre fin à la MGF/E. Ils m’ont aidée et formée pour devenir une championne et aussi pour rejoindre des villages plus éloignés dans mon pays.

Grâce à Amref Health Africa, je pouvais en faire plus. La communauté leur faisait déjà confiance en raison du projet ARP WASH, qui consiste d’abord à fournir de l’eau potable et ensuite à aborder des enjeux plus délicats. Aujourd’hui, six ans plus tard, je connais beaucoup de succès dans mes discussions avec chaque personne dans la communauté. Les aînés, les chefs, les filles et les garçons. Et je peux vraiment voir un changement.

Comment la COVID-19 a-t-elle affecté votre région?

Durant la COVID-19, je n’étais pas en mesure de rejoindre toutes les filles. On ne pouvait pas organiser de rencontres, tout le monde restait à la maison et les écoles étaient fermées. J’ai entendu dire que plusieurs filles ont connu l’excision pendant cette période. Cela m’a vraiment frustrée parce que je ne veux pas que les filles souffrent. J’appelais plusieurs personnes dans ma communauté chaque jour. Je souhaitais être en contact avec tous les aînés pour qu’ils puissent parler à la communauté des droits des filles. Plusieurs d’entre eux ont promis de garder un œil ouvert pour protéger l’ensemble des filles. Je visite généralement un village à la fois pour mes campagnes d’éducation en porte-à-porte, mais je laissais mon numéro de téléphone à toutes les familles visitées pour qu’on puisse me joindre en tout temps s’il y avait un problème. Le fait de faire du porte-à-porte me permettait aussi de voir de mes propres yeux si les filles étaient en santé et si je suspectais qu’une fille était à risque, j’appelais alors le travailleur de santé communautaire ou le chef du village. J’ai aussi reçu plusieurs appels de filles qui avaient peur d’être excisées. Amref a décidé de m’aider à organiser une émission de radio. J’ai rejoint des milliers de personnes et villages éloignés par la radio.

Heureusement, le confinement n’a pas perduré trop longtemps. Dans la plupart des villages, nous étions de retour à la normale après un à trois mois et les écoles ont rouvert.

Comment la COVID-19 a-t-elle affecté la vie des filles?

De nombreuses personnes ont été affectées par la pandémie de COVID-19 et le confinement. Plusieurs hommes ont perdu leur emploi, car ils travaillaient dans le secteur du tourisme sur l’île de Zanzibar. Les hommes étaient à la maison parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire et les frustrations dans certaines maisons avaient des conséquences sérieuses. Certains hommes ont commencé à boire et à battre leur épouse. Les jeunes filles étaient à risque parce qu’elles fuyaient les maisons et se faisaient violer dans la rue. C’était vraiment un défi de contrôler la situation.

Récemment, j’ai aidé une fille de 9 ans. Elle vivait une situation très à risque. Son père ne voulait pas qu’elle retourne à l’école et sa soeur était déjà mariée. J’étais en train de faire mes visites habituelles de maison en maison, lorsqu’elle m’a approchée pour me demander de l’aide. J’ai organisé une intervention et j’ai parlé à son père et j’ai essayé de le convaincre d’envoyer sa fille à l’école. Je lui ai expliqué qu’elle avait besoin d’une éducation si elle souhaitait pouvoir faire quelque chose de sa vie. Elle serait laissée à elle-même si son rôle se limitait à faire les tâches ménagères, sans avoir le droit d’aller à l’école. Je ne parvenais pas à le convaincre alors je lui ai proposé de prendre en charge sa fille et il a accepté. Elle est aujourd’hui une étudiante de 5e année et se porte très bien.

Quoi ou qui est votre source d’inspiration?

Les autres leaders me motivent. Elles sont si inspirantes. Elles ont tant accompli. Particulièrement une femme Maasaï du Kenya nommée Nice Nailantei, qui incarne la définition même de modèle. Elle vient de loin et a réalisé beaucoup de choses. Elle m’inspire toujours à en faire plus, à en donner plus et à ne jamais abandonner.

Elle a une maison pour les filles nommée « Une belle place » (un refuge pour les filles qui ont fui la MGF/E). J’espère avoir quelque chose de semblable pour les filles de Kilindi. Et de pouvoir éduquer plus de filles.

Quelle est votre ambition?

Je rêve d’un monde sans souffrance et sans circoncision. Je veux voir les filles de Tanzanie devenir des enseignantes, des médecins, des infirmières, des ingénieures, des pilotes, ou à réaliser leur rêve quel qu’il soit. Elles peuvent devenir tout ce qu’elles veulent être et beaucoup plus que d’être mariées à un aussi jeune âge que 15 ans.

Quel est le message que vous souhaitez transmettre aux filles à travers le monde?

Élevons notre voix pour l’éducation. En tant que fille, vous avez le droit à l’éducation. Et personne n’a le droit de vous mutiler. N’ayez pas peur et défendez vos droits.

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