Le récit est un élément incontournable et essentiel de l’engagement du public international, l'une de nos responsabilités les plus importantes. Partager les images et les récits des communautés avec lesquelles nous travaillons n'est pas simplement une tâche ; cela implique un engagement éthique et une intention claire.
Parce que les systèmes suprémacistes imprègnent chaque aspect de notre travail, le récit ne fait pas exception. En tant que praticien·nes de la coopération internationale, nous devons rester conscient·es de la manière dont ces dynamiques s’expriment dans nos communications et nous engager activement à les déconstruire.
Dans ce contexte, j'utilise le terme « récit » pour désigner largement toutes les formes de représentation (images, langage et narrations) que nous utilisons pour partager les expériences des membres de la communauté avec lesquels nous travaillons, que ce soit au Canada ou à l'échelle mondiale. Il s'agit d'images et il s'agit de langage. Une photo peut donner du pouvoir au sujet ou peut perpétuer le voyeurisme néocolonial. Les mots employés pour raconter une histoire peuvent renforcer ou affaiblir le pouvoir d’une communauté.
Je n'oublierai jamais une histoire qu'une camarade d'université a partagée avec moi. Nous discutions de l'histoire des réfugiés et de l'immigration, et elle a partagé sa visite au Quai 21 avec sa famille où une photo d’elle enfant, réfugiée fuyant son pays, figurait en plein centre d’une des expositions - elle s'est sentie tellement impuissante, consternée et en colère. Elle n'avait eu aucun mot à dire sur la façon dont son histoire était racontée, comment elle était dépeinte et elle n'avait certainement pas consenti à ce que sa photo soit utilisée de cette façon.
Cette histoire me revient à l'esprit lorsque nous nous concentrons sur le récit intentionnel, en particulier à travers la photographie. Des organisations adaptent leur communication à ce qu’elles estiment être les attentes du public canadien, en multipliant les récits pour capter une attention souvent brève. Mais cette mentalité nuit souvent aux histoires consensuelles significatives et peut perpétuer la norme historique de l'objectification coloniale, du voyeurisme raciste et du regard misogyne.
La collecte intentionnelle d'histoires, avec le consentement plein et éclairé des personnes présentées, en particulier dans les photos, est le minimum absolu pour commencer à aborder les approches décoloniales et antiracistes de l'engagement du public. La participation à un programme n'équivaut pas au consentement. Un simple oui ou non n'est pas un consentement éclairé. Et les enfants, sans la présence et la compréhension de leurs tuteurs, ne peuvent pas donner leur consentement.
Bien sûr, la plupart des histoires ne sont pas véhiculées uniquement par des images. Les mots que nous utilisons pour raconter ces histoires sont tout aussi importants. Alors que les normes de communication actuelles mettent souvent l'accent sur l'inclusion de citations directes des membres de la communauté, comme moyen de s'assurer que leurs voix sont présentes, ce qui est tout aussi important, c'est la façon dont ces citations sont sélectionnées et le langage utilisé pour encadrer le récit global. Ces choix façonnent le sens et peuvent soit renforcer, soit remettre en question les dynamiques de pouvoir existantes.
Lors des entretiens, il est essentiel de créer un espace où les membres de la communauté se sentent en sécurité et à l'aise de partager leur vérité. Les participant·es peuvent parfois dire ce qu'ils croient que l'organisation veut entendre. Mais l’authenticité ne se mesure pas simplement à la diversité des voix incluses : elle repose sur une intention claire et une relation de confiance. Si les participant·es se sentent obligé·es de façonner leurs réponses pour s'aligner sur les attentes des personnes qui sont au pouvoir, surtout lorsque ces attentes sont enracinées dans des idéaux racistes ou néocoloniaux, alors le processus ne peut pas vraiment remettre en question ces structures. L'honnêteté radicale, fondée sur le respect mutuel, est essentielle.
Je recommande vivement d’explorer plus en profondeur le récit éthique ainsi que le travail de Photographers Without Borders, qui proposent des ressources riches et réfléchies sur ce sujet important.
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Allison Kingston a grandi en banlieue de Sarnia, en Ontario, avant de s'installer un peu partout au Canada et dans le monde. Elle est revenue vivre à Sarnia-Lambton en juillet 2024. Elle a alors rejoint l’équipe de Rayjon à titre de directrice exécutive à temps plein. Inspirée par le travail de Rayjon et de notre organisme partenaire, l’ASCALA, elle s’est consacrée à la question de l’apatridie en République dominicaine dans le cadre de son mémoire de maîtrise en études des migrations et de la diaspora à l’Université de Carleton. Le rapprochement des communautés, les changements novateurs et le renforcement des partenariats sont des valeurs fondamentales qui l’animent. Lorsqu’elle n’est pas au travail, elle aime rester active, qu’il s’agisse de boxe ou de marche au soleil, mais elle aime aussi se détendre en lisant un bon livre.
